06/06/2007

BENOÎT XVI L’ETHNOCIDAIRE

L’avantage avec l'Église catholique, apostolique et romaine, c’est qu’elle tient un cap, le même depuis Constantin et sa conversion personnelle fort opportuniste au christianisme qui a décidé en même temps de celle de l’Empire, donc de la fabrication de notre Europe chrétienne. Ce cap est simple : destruction de tout ce qui empêche la chrétienté politique. Destruction et surtout effacement des preuves de ce travail de sicaire.

Voilà pour quelles raisons il m’a fallu chercher loin les preuves de cette passion destructrice qui accompagne l’installation du christianisme en Europe, puis dans le reste du monde. Lorsque j’ai travaillé sur cette question pour mon Traité d’athéologie, j’ai découvert le mutisme des livres, le silence des bibliothèques, la complicité universitaire d’historiens affirmant que l’effondrement naturel de l’Empire a été suivi de l’épiphanie toute aussi naturelle du Christianisme comme culture d’État. Autrement dit : maladie de l’Empire païen, mort, puis renaissance accompagnée par la médecine chrétienne, le tout par le miracle d’un pur et simple processus naturel.

Or l’installation du Christ Roi en Europe s’est faite avec violences de la soldatesque, persécutions physiques de païens, empêchement de philosophes, brutalités à l’endroit des croyants des autres religions, destruction de monuments, recyclage de statues et d’objets sacrés dans le gravât des routes, autodafés de livres, pillages de lieux de culte, incendies de bibliothèques, privation de citoyenneté pour les non chrétiens, législations discriminatives contre les récalcitrants à la religion nouvelle, et passim…

La même méthode fut utilisée lors de la christianisation du restant de la planète. Chaque fois qu’un pays fut converti au christianisme, ce fut au prix d’un ethnocide. A cette heure, il manque un dictionnaire de ces ethnocides, un musée de cette barbarie chrétienne, une encyclopédie de ces civilisations et de ces cultures détruites par les colons chrétiens, les missionnaires, les conquistadores. Que se lève la mémoire des Tainos, des Aborigènes, des Arawaks, des Caraïbes, des Inuits, des Kiowas et de tant d’autres peuples…

Dès lors, quand Benoît XVI affirme pendant son voyage au Brésil que « l’annonce de Jésus et de son Évangile n’a comporté à aucun moment une aliénation des cultures précolombiennes et n’a pas imposé une culture étrangère » on se dit qu’il reste à cet ancien élève de la Jeunesse Hitlérienne quelques mauvaises habitudes de pensées et qu’il a vraiment lui aussi, et comme beaucoup de chrétiens, du mal avec l’amour du prochain quand le prochain n’est pas la duplication de sa petite personne… Benoît XVI s’acharne sur le cadavre de Las Casas , ce premier des Justes.

Michel Onfray

30/05/2007

Athéisme dans l'Encyclopédie Anarchiste

ATHÉISME

Le mot athéisme est formé de deux mots grecs : (a), particule négative et du substantif (theos) dieu. L’athéisme est la théorie de ceux qui ne reconnaissent pas l’existence d’un dieu quelconque, d’un être supérieur à la nature humaine, d’une intelligence réglant les mouvements de l’univers et intervenant dans les affaires des hommes.

Le contraire d’athéisme est théisme, dont une des formes est le déisme.

Un anarchiste, qui ne veut pas de maître tout puissant sur la terre, pas de gouvernement autoritaire, doit nécessairement repousser l’idée d’un maître omnipotent auquel tout doit être soumis ; il doit, s’il est conscient, se déclarer athée, dans le sens ordinaire, mais cela ne suffit pas pour se rendre compte des difficultés que ce mot a de tout temps soulevées et pour comprendre l’idée qu’on semble avoir adoptée.

L’athéisme a excité la haine, le mépris de ceux qui n’en ont compris ni la philosophie, ni la morale, ni l’histoire. Nous allons, pour commencer, citer quelques appréciations d’auteurs connus.

- « L’athéisme est une opinion dénaturée et monstrueuse, difficile à établir dans l’esprit humain, quelque déréglé qu’il puisse être. » (Montaigne.)

- « Il n’y a d’athéisme que dans la froideur, l’égoïsme, la bassesse. » (Madame de Staël.)

- « Si l’athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c’est moins pour l’amour de la paix que par indifférence pour le bien. » (J.-J. Rousseau.)

- « Une preuve que l’athéisme n’est pas enraciné dans les coeurs, c’est la démangeaison de le répandre ; quand on ne se méfie pas de ses opinions on n’a pas besoin de leur chercher des appuis et des défenseurs : on veut convaincre les autres afin de se persuader soi-même. » (A. Bacon.)

Toutes ces phrases de philosophes sont bien creuses ; on peut, en quelque mots, en détruire l’effet. Nous espérons démontrer, dans cet article, que toutes les objurgations jetées à la face des athées sont absolument sans fondement.

Voyez plutôt la phrase du célèbre philosophe anglais, auteur du Novum Organum. Quel parti ne cherche pas à faire des prosélytes ? N’ont-ils pas tous des journaux, des livres pour défendre leurs idées ? Les chrétiens ne sont-ils pas les premiers à prêcher dans leurs églises, à envoyer des missionnaires ? Faudrait-il donc croire que tous doutent des dogmes qu’ils enseignent ? Pourtant, nous savons qu’il y a des chrétiens, ou simplement des théistes, bien convaincus des dogmes qu’ils cherchent à répandre.

« L’athéisme, a dit Bossuet, appauvrit l’humanité et lui ôte les plus grands biens : Dieu, l’âme, l’immortalité. »

A cela nous pouvons répondre que l’existence d’aucun de ces biens n’a été prouvée scientifiquement et que tout esprit libre peut légitimement douter de cette existence ou même la nier. Toutes les sectes religieuses prétendent que l’athéisme conduit au mal, que les athées sont nécessairement des hommes vicieux qui ont adopté les idées athées comme défi à la divinité justement offensée par leur vie scandaleuse.

Nous ne voulons pas nous arrêter ici pour demander la définition des mots vertu, vice, dont les acceptions varient avec chaque individu, chaque pays, chaque époque, chaque profession.

Les croyants affirment que parmi les causes directes de l’athéisme, on trouve le défaut d’éducation, les sociétés perverses, une vie licencieuse. Or, toute personne qui s’est donné la peine d’étudier sans parti pris reconnaît que les athées sont peut-être les gens les plus vertueux, les plus honorables, les plus dévoués à l’humanité. Qui pourrait être comparé aux frères Reclus, ces modèles de tout ce qu’il y a de bon, quoique nettement anarchistes et athées ! Quelles nobles figures que celles de Kropotkine, de Bakounine, de Tchernychevsky, de Myskhine, de Shelley, de Carlyle, de Holcroft, d’Owen, de William Morris qui tous ont lutté pour l’athéisme et la liberté ! Et en France, n’a-t-on pas vu des hommes comme Sylvain Maréchal, Lalande, Laplace, Helvétius, Berthelot, tous des modèles de vertu et de science ? Nous verrons dans la suite de cette étude que depuis les plus anciens temps, depuis Confucius, Lao-Tsée, depuis Gautama Cakya-mouni, dit le Bouddha, depuis les anciens philosophes grecs jusqu’à nos jours, les athées, les agnostiques qui, pour moi, sont des athées puisqu’ils n’affirment pas l’existence d’un dieu quelconque loin d’être des dévergondés ou de malhonnêtes gens ont été des modèles de tout ce qu’il y a de louable.

Les statistiques des prisons, des pénitenciers des États-Unis prouvent que ces établissements sont remplis d’hommes pieux, élevés dans des milieux religieux, ayant conservé toute leur vie leurs idées théistes, tandis que les athées, quoique nombreux dans la population, sont pour ainsi dire inconnus parmi les pensionnaires de l’État. S’il s’y trouve des personnes athées, ce sont des hommes qui ont été condamnés comme politiciens, avocats d’idées anarchistes, ou pour des discours nettement blasphématoires, chose qu’interdisent les lois de plusieurs États américains et même la législation anglaise. Il suffit encore à présent de nier Dieu dans des discours publics pour que les juges théistes condamnent un orateur à plusieurs mois de détention, ce qui est arrivé, il n’y a pas longtemps, au propagandiste Gott qui a été condamné à plusieurs mois de prison pour avoir distribué des brochures athées, bien que son nom signifiât Dieu ; ce pauvre homme est mort en prison.

Bradlaugh, le grand orateur anglais, qui avait excité tant de haines et s’était exposé à tant de poursuites par ses discours athées fut expulsé de la Chambre des Communes parce qu’il avait déclaré, lors des élections, que le nom de Dieu n’avait aucune signification pour lui. Etant l’idole de la population ouvrière de Northampton, il fut réélu après chaque annulation et il réussit à faire abolir le serment obligatoire en Angleterre.

Bradlaugh a écrit que l’athéisme conscient donne plus de possibilités pour le bonheur humain que tout système basé sur le théisme et que la vie des vrais athées est plus vertueuse parce que plus humaine que celle des croyants à une divinité ; l’humanité des dévots étant souvent neutralisée par la foi avec laquelle cette humanité est nécessairement constamment en conflit.

« L’athéisme bien compris n’est pas une simple incrédulité, une froide et aride négation ; c’est au contraire une fertile affirmation de toute vérité prouvée, il comprend l’assertion positive de l’action de l’humanité la plus élevée. » (A Plea for Atheism.)

L’athée ne dit pas : « II n’y a pas de dieu, car il est impossible de prouver une négation. Il dit : Je ne sais pas ce que vous voulez dire par Dieu, je n’ai aucune idée de Dieu ; le mot Dieu, pour moi, est un son qui ne me fournit aucune affirmation claire ou distincte. Je ne nie pas Dieu parce que je ne puis nier ce dont je n’ai aucune conception et dont la conception chez ceux qui croient en Dieu est si imparfaite, qu’ils sont incapables de me la définir. Si pourtant on veut définir Dieu comme une existence autre que l’existence dont je fais partie, j’affirme qu’un tel Dieu est impossible. »

La difficulté initiale dans toute polémique religieuse, c’est en effet de définir le mot Dieu. Il est également impossible d’affirmer ou de nier toute proposition à moins qu’il y ait chez l’affirmateur ou le négateur un accord sur la signification de chaque mot de la proposition. Je trouve, dit Bradlaugh, ce mot fréquemment employé par des personnes instruites qui se sont fait une réputation dans diverses branches des sciences, plutôt pour déguiser leur ignorance que pour expliquer ce qu’elles savent. Diverses sectes de théistes attribuent à ce mot des significations, mais souvent ces significations se contredisent elles-mêmes. Chez les Juifs monothéistes, chez les chrétiens trinitaires, chez les soniciens ou unitaires, chez les anciens polythéistes, chez les calvinistes, le mot Dieu, dans chaque cas, exprime une idée absolument irréconciliable avec les idées des autres sectes.

Lorsque les croyants cherchent à s’entendre sur une signification, ils n’arrivent à rien. Lorsque le théiste affirme que Dieu est un être différent, séparé de l’univers matériel, quand il orne cet être hypothétique de nombreux attributs : omniscience, omnipotence, omniprésence, immuabilité, immortalité, parfaite bonté, l’athée peut répondre : « Je nie l’existence d’un tel être parce que cette définition théiste est contradictoire en elle-même et contraire à l’expérience journalière. »

L’un des plus remarquables poètes et critique du XIXè siècle en Angleterre, Matthew Arnold, fils du grand éducateur et pasteur qui a rendu fameuse l’école de Rugby, écrit dans son célèbre ouvrage Littérature et Dogmatisme :

« Examinons le terme suprême dont est remplie la religion, le terme Dieu. L’ambiguïté dans l’usage de ce mot est à la racine de toutes nos difficultés religieuses. On s’en sert comme si c’était une idée parfaitement définie et certaine dont nous pourrions extraire des propositions et tirer des conclusions. Par exemple, j’ouvre un livre et je lis : Nos sentiments de la morale nous disent telle et telle chose et notre sentiment de Dieu d’un autre côté nous dit telle chose. Or, la morale représente pour tout le monde une idée définie et certaine, l’idée de conduite humaine réglée d’une certaine manière. Ici le mot Dieu est employé avec le mot morale comme si le premier représentait une idée aussi définie que le second. Mais le mot Dieu est le plus souvent employé dans un sens pas du tout scientifique ni précis : mais comme un terme de poésie, un terme jeté à un objet pas du tout clair pour l’orateur - un terme littéraire - et l’humanité le prend dans des sens différents selon que diffère la conscience psychologique. »

« Dieu est le nom que depuis le commencement des temps jusqu’à nos jours les hommes ont donné à leur ignorance (Max Nordau, Morale et Évolution de l’Homme). » Si l’on parle à l’athée d’un Dieu créateur, il répond que la conception d’une création est impossible. Il nous est impossible de nous représenter en pensée que rien puisse devenir quelque chose ou que quelque chose puisse devenir rien. Les mots création et destruction dénotent un changement de phénomène, ils ne dénotent ni origine ni cessation de la substance.

Le théiste qui parle de Dieu créant l’univers doit supposer ou bien que ce Dieu l’a tiré de soi-même ou bien qu’il l’a produit de rien. Mais le théiste ne peut regarder l’univers comme une évolution de la déité, parce que cela identifierait l’univers et la déité, cela serait du panthéisme (du grec pan toute chose et théos dieu). Il n’y aurait pas de distinction de substance, pas de création. Le théiste ne peut non plus regarder l’univers comme créé de rien, puisque selon lui la déité est nécessairement éternelle et infinie. L’existence de dieu éternelle et infinie exclut la possibilité de la conception du vide qui doit être rempli par l’univers créé. Nul ne peut penser à un point de l’étendue ou de la durée et dire : Voici le point de séparation entre le créateur et la créature. Il est aussi impossible de concevoir un commencement absolu ou une fin absolue de l’existence.

L’athée affirme qu’il connaît les effets, que ceux-ci sont à la fois causes et effets, causes des effets qu’ils précèdent et effets des causes qui les précèdent. Donc pas de création, pas de créateur.

Aucun des croyants n’a une idée autre que celle d’un Dieu anthropomorphe (c’est à dire à forme humaine) ; chacun se représente un Dieu sous la forme d’un vieillard, assis sur un trône et planant dans les nuages.

Raphaël et les peintres de la Renaissance l’ont peint sous la forme d’un vieillard à longue barbe, volant par les airs et vêtu d’une vaste robe. Dans les tableaux d’église, même par des peintres de génie, comme Michel Ange, on voit cette déité peinte en chair et en os, tantôt la tête ceinte d’une auréole, survivance du culte du soleil, tantôt formant le centre d’un triangle.

Dans mes voyages en Russie, j’ai souvent vu des paysans qui, avant de se découvrir en entrant dans une chambre, cherchaient l’image que les orthodoxes ont généralement dans un angle de leurs chambres et quand ils ne voyaient pas l’icône, demander « Gdié Bogh. » (Où est Dieu ?) Pour eux, ce morceau de bois peint placé dans un cadre doré, était bien Dieu, un portrait de Dieu.

L’évêque américain Brown, qui a été deux fois condamné par ses pairs pour hérésie, a écrit dans son livre « Christianism and Communism » : « Mon Dieu est une trinité dont la matière est le Père, la Force est le Fils, et la Loi le Saint Esprit » ; dans un autre endroit, il dit : « Dieu est la nature et les travailleurs. »

L.K. Washburn écrit : « Nous nous servons du mot Dieu et il n’y a pas deux personnes qui aient la même idée de ce que le mot Dieu signifie. » Dans le Truth-Seeker le même auteur dit : « II règne une notion assez nuageuse de la divinité, notion qu’il serait bien difficile d’exprimer en paroles. »

La bible nous parle de dieux (Elohim, pluriel de El, dieu sémite) créant la lumière avant le soleil, formant de ses mains d’abord un être hermaphrodite, homme et femme, puis, dans un second récit de la création, Yaveh (Dieu d’une tribu du SinaÏ) formant un être isolé et, pendant son sommeil, lui arrachant une côte pour en fabriquer une femme. Il plante des arbres exprès pour faire succomber ses créatures. De son ciel, il ne voit pas ce qui se passe dans le jardin d’Eden et descend pour s’y promener et surveiller la conduite des deux époux, il leur coud des vêtements. Dieu se fait voir à Moïse face à face, une autre fois, il ne se montre que de dos. Dieu, de son doigt, grave les commandements sur la pierre, ailleurs, il lutte toute une nuit avec Jacob sur les rives du Jabbok, il est vaincu par l’homme : Dieu est donc un être matériel.

Tous les livres sacrés de l’Orient qui parlent des dieux en font des êtres , humains supérieurs. Le Nouveau Testament dit que Dieu est esprit,ce qui ne veut rien dire, car pour la plupart des hommes, la lumière, la chaleur sont des esprits, tandis que ce ne sont que des manifestations des mouvements de la matière. Ce qu’en psychologie, on appelle esprit n’est qu’une des fonctions du cerveau, donc une manifestation de la matière. Dieu serait donc matériel, chose aussi absurde qu’impossible.

Voyons à présent ce que pensent de Dieu quelques écrivains remarquables :

Le grand inventeur Th. A. Edison a dit : « Dieu ? Un être suprême, assis sur un trône accordant aux individus humains une paix éternelle ou les condamnant à des châtiments sans fin pour ce qu’ils ont pu faire ou manqué de faire sur la terre ? Cette pensée me paraît aussi fallacieuse que répugnante... Aucun des dieux des différentes théologies n’a jamais été prouvé... Je n’ai jamais vu la plus légère preuve scientifique des théories religieuses sur le ciel et l’enfer, sur la vie future pour les individus, ou de l’existence de Dieu. » (Columbian Magazine, Janvier 1911.)

Le Jéhovah du Pentateuque était un meurtrier, un bandit, il aimait les offrandes de chair humaine. Les dieux d’Homère étaient lascifs et dépravés. Les dieux des sauvages sont simplement des chefs sauvages. Dieu est donc une image de l’esprit (Winwood Reade, Martyrom of Man (Le Martyre de l’Homme). Le grand physiologiste américain L. Burbank a dit : « Le ciel et l’enfer des croyants n’existent pas. Ils ne pourraient exister s’il y avait un maître tout-puissant et juste. Aucun criminel ne pourrait être aussi cruel qu’un Dieu qui plongerait les êtres humains dans l’enfer. »

« Cherchez les annales du monde entier, découvrez l’histoire de toute tribu barbare, et vous ne trouverez aucun crime qui soit descendu à une plus grande profondeur d’infamie que ceux que Dieu a commandés ou approuvés. Pour ce Dieu, je ne trouve pas de mots pour exprimer mon horreur et mon mépris, et tous les mots de toutes les langues seraient à peine suffisants. » (Ingersoll.)

L’un des plus grands poètes, Shelley, a écrit : « Tout esprit réfléchi doit reconnaître qu’il n’y a pas de preuve de l’existence d’une déité. Dieu est une hypothèse, et comme telle a besoin de preuve. L’onus probandi est à la charge des théistes (c’est à dire ce sont les théistes qui doivent prouver cette existence). »

Cette idée (l’existence de Dieu) a empêché les progrès de la raison. (d’Holbach.)

S’il y a un Dieu, nous lui devons notre intelligence, mais notre intelligence nous dit clairement qu’il n’y a pas de Dieu. Donc Dieu nous dit qu’il n’y a pas de dieu (Rabindranath Tagore, grand poète hindou).

L’Homme est le dieu d’aujourd’hui, et la crainte de l’homme a remplacé la vieille crainte de Dieu. (Max Stirner).

Les théistes, tout en ne s’entendant pas sur la signification de leur Dieu, s’accordent fort bien pour attaquer l’athéisme. La Bible a déjà dit : L’insensé a dit dans son coeur : "Il n’y a pas de Dieu." Le philosophe Cousin, l’un des protagonistes de la philosophie officielle sous l’Empire, a dit que l’athéisme était impossible. D’autres voudraient faire croire que l’athéisme conduirait nécessairement au malheur et au crime. Cependant, Voltaire, déiste et adversaire de l’athéisme a dit : « Le chancelier de l’Hôpital, athée, n’a fait que de sages lois, il n’a consulté que la modération et la concorde ; les fanatiques (c’est à dire les croyants, pour Voltaire), ont commis la Saint-Barthélémy ; Hobbes, athée, mène une vie tranquille et innocente ; les fanatiques de son temps inondèrent de sang l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande ; Spinoza était, non seulement athée, mais il enseigna l’athéisme et ce ne fut pas lui assurément qui prit part à l’assassinat de Barneveldt..., ce ne fut pas lui qui déchira les deux frères de Witt en morceaux et qui les mangea sur le gril. Peuplez une ville d’Epicures, de Protagoras, de Desbarreaux de Spinoza, peuplez une autre ville de jansénistes et de molinistes, dans laquelle, croyez-vous qu’il y aura plus de troubles et de querelles ? » Voltaire a dit aussi : « II est beaucoup plus agréable de passer sa vie auprès des athées qu’avec les superstitieux. L’athée, dans son erreur, conserve sa raison, qui lui coupe les griffes, mais le fanatique est atteint d’une folie perpétuelle qui aiguise les siennes. »

Un apologiste du christianisme, le pasteur James Buchanan, dans son livre Faith in God and Modem atheism compared (La foi en Dieu et l’athéisme moderne comparés) divise les diverses variétés d’athéisme en quatre classes.

- 1°) L’hypothèse aristotélique, qui affirme que l’ordre actuel de la nature ou le monde tel qu’il est constitué à présent existe de toute éternité et qu’il n’aura jamais de fin.
- 2°) L’hypothèse épicurienne qui reconnaît l’éternelle existence de la matière et du mouvement et qui attribue l’origine du monde, soit avec Epicure à un concours fortuit d’atomes, soit avec des savants modernes à une loi de développement progressif à l’évolution.
- 3°) Le système stoïque qui affirme la coexistence et la coéternité de Dieu et du monde, représentant Dieu comme l’âme du monde, ni antérieur au monde, ni indépendant de lui. et soumis, comme la matière, aux lois du destin.
- 4°) L’hypothèse panthéiste qui nie la distinction entre Dieu et le monde. Selon ce principe, l’univers est Dieu et Dieu est l’univers.

Nous avons déjà parlé du panthéisme, il nous suffira de dire que le panthéisme, quoique apparemment plus logique que le théisme ou le déisme, n’est qu’une hypothèse aussi peu démontrable que le théisme pur. La difficulté d’expliquer l’origine de la matière est aussi grande, soit qu’on appelle celle-ci Dieu, soit qu’on en fasse une émanation de la déité ; ce n’est qu’une logomachie, malgré le génie de philosophes comme Spinoza qui ont soutenu le panthéisme.

La théorie stoïque n’est, après tout, qu’une forme du panthéisme, avec, peut-être, moins de base solide que celui-ci.

Il ne reste guère que les théories d’Aristote et d’Epicure, qui forment vraiment la base des sciences physiques modernes, toutes fondées sur l’atomisme bien que les savants actuels aient poussé plus loin que les anciens l’étude des atomes, dont chacun peut se diviser en des millions de parcelles, tout en restant de la matière en mouvement. Ces atomes, ces ions, sont absolument indépendants d’une volonté supérieure dans un ciel inexistant.

« L’athéisme moderne se présente, dit le Grand Larousse, avec une originalité, une profondeur, une puissance logique, un génie que les âges antérieurs n’ont pas connus. Ce n’est plus une sorte d’anomalie dans le développement historique, mais le terme d’une lente évolution de l’humanité, évolution théologique, évolution scientifique, Il se pose hardiment comme l’affranchissement suprême de l’esprit, l’expression la plus haute de la dignité et par là même, de la conscience humaine. Il nous montre la science écartant les hypothèses qui ne sont pas susceptibles de vérification, substituant les lois aux causes, les propriétés aux forces ; la logique renversant la méthode qui déduisait le monde physique et le monde moral d’un Dieu antérieurement défini, n’acceptant d’autre critère que l’accord de la raison et de l’expérience, la morale dorénavant instituée, indépendante de toute institution divine, relevant des lois inhérentes à la nature humaine, non de la volonté, du bon plaisir d’un roi du ciel. »

Dans la Grande Encyclopédie, M. Marion, qui pourtant n’est pas tendre. pour le mot athée, écrit :

« On comprend que le vulgaire, qui a sa conception très arrêtée et très étroite de la divinité et qui n’en admet pas d’autre, qualifie d’athéisme toute doctrine tant soit peu différente de l’ordinaire anthropomorphisme, de la croyance courante à un Dieu personnel, intervenant sans cesse, dans les choses humaines. n est surtout ridicule de reprocher aux savants d’être athées - la science comme telle est athée par nature, en ce qu’elle a pour objet unique d’étudier le comment des choses, leur mécanisme, la liaison nécessaire des causes et des effets, sans s’embarrasser des questions d’origine première et de fin. Si Laplace a répondu à quelqu’un qui s’étonnait de ne pas trouver le nom de Dieu dans sa mécanique céleste : "Je n’ai pas besoin de cette hypothèse", ce n’est là que l’expression toute simple d’un état d’esprit naturel aux savants en tant que savants, c’est à dire en tant qu’observateurs des conséquences. Les philosophes eux-mêmes, depuis Descartes et surtout depuis Kant, ont été de plus en plus unanimes à admettre que rien dans le monde ne se fait que selon des lois immuables résultant de la nature des choses ; de sorte que c’est presque tout philosophe digne de ce nom qui devra être qualifié d’athée, à prendre pour juge l’opinion vulgaire qui entend par Dieu une puissance indépendante de toute loi, capable d’intervenir à tout instant dans la marche de l’univers. Pas un métaphysicien, si respectueux soit-il de la croyance populaire, qui n’en cherche une interprétation plus profonde, inconciliable avec la science. »

Le philosophe français qui signe du pseudonyme "Vallée du Mont-Ari" (Lettres sur la Vie vue avec le simple bon sens) dit :

« Àmes yeux, la croyance en Dieu-Idée a une telle influence sur l’état social que je ne puis me dispenser de revenir sur ce Rien, cette Nullité, ce Non-être, ce Néant, cet Impossible, ce Dieu de toutes les religions qui, sous les noms de Brahmah, Javeh, Jehovah, Elohim, etc., de par les résultantes qu’il a déterminées depuis que les hommes ignorants ou astucieux l’ont créé, est l’Immoralité même. Comment ne pas voir que c’est cette erreur qui, par le fanatisme, maintient les états d’êtres inférieurs actuels ? C’est vraiment commode, un Dieu pour certains individus dont la conscience et la réflexion ont été annihilées par cette croyance...

»Toute leur existence se passe à commettre les pires méfaits, les malhonnêtetés les plus criantes... et quand ils sentent que la tombe va s’ouvrir, ils adressent un acte de contrition à cette Hideur qui avait permis leurs crimes et elle leur ouvre toutes grandes les portes de son "Paradis" où ils jouiront éternellement du plus grand bien-être, après avoir joui pendant toute leur vie terrestre au détriment d’autrui. Tandis que certain pauvre diable qui aura vécu chichement, péniblement, souffreteusement, douloureusement, et honnêtement pendant toute sa vie en servant humblement les riches exploiteurs, ira en enfer si, contraint par la misère, il est surpris volant quelque denrée alimentaire ou quelques sous chez un de ses exploiteurs qui le tuera simplement avant qu’il ait eu le temps de manifester son repentir à Dieu... 0 stupidité ! »

»C’est cette insanité repoussante qui fait dire à ses représentants autocrates et omniscients que la guerre est nécessaire et qu’elle donne la victoire aux armées qui la servent... C’est la croyance en cette Fiction qui est cause de tout le mal que nous pouvons constater par l’obscurité intellectuelle et la stagnation mentale dans lesquelles sa crainte maintient l’humanité... »

Cette page virulente n’est qu’un exposé de l’objection que les philosophes opposent au dogme de l’existence d’un Dieu tout puissant et tout sage : l’existence du mal physique et moral. On ne comprend vraiment pas comment des êtres raisonnables peuvent avaler les boniments des prêtres de toutes les religions ; et pourtant l’immense majorité des hommes se soumettent benoîtement à ce que les représentants de la superstition religieuse leur commandent.

Vallée du Mont-Ari dit encore : « Il existe des êtres ayant des prétentions d’être à l’avant-garde des idées et considérant comme inutile le temps passé à combattre l’idée de Dieu. On peut se demander comment un homme sensé peut douter de la nécessité et de l’efficacité du combat de l’homme conscient contre la croyance en l’existence de Dieu. Il faut vraiment qu’il n’ait jamais pris la peine de réfléchir sur l’importance de cette question, ou qu’il ne puisse pas en voir toute l’importance... le sort de l’humanité y est intimement lié.

"L’athée... croit à la possibilité d’une justice sans Dieu ; justice dont les plateaux de la balance n’auront plus à subir les influences actuelles ignobles de cette monstruosité. »

* * *

Voyons à présent les prétendues preuves de l’existence de Dieu. Le premier argument que tout chrétien lance dans une discussion avec un athée, c’est celui de Fénelon et de Bossuet qu’on a redit à satiété : il faut un horloger pour faire une montre, un peintre pour faire un tableau, il faut donc un auteur à toute chose, cet auteur, je l’appelle Dieu, donc Dieu existe. Cet argument n’a pas plus de valeur qu’une bulle de savon ; s’il a fallu un créateur pour créer le monde, qui a créé ce créateur et le créateur de ce créateur ? et ainsi de suite à l’infini. La preuve théiste n’est qu’une pétition de principe, car c’est l’affirmation de la création, parce que ce que ce créateur existe ; or, ce créateur premier ne peut être, puisqu’on peut toujours le reculer et, de plus, la création n’a pas été prouvée et ne le sera probablement jamais, car la science se passe très bien de l’idée de création.

Fénelon croit avoir tout dit en opposant l’idée de Dieu au hasard. Or, le hasard ne serait encore qu’un Dieu, tandis que la science telle qu’elle existe aujourd’hui, reconnaît des lois, pas un hasard ; ces lois sont éternelles autant qu’on peut le déduire de toutes les observations. Donc pas de Dieu. Les arguments de Fénelon sont parfois de purs enfantillages, ainsi : "Si l’eau était plus ou moins dense qu’elle n’est, elle ne pourrait supporter des vaisseaux", ce qui revient à dire que les eaux ont été créées pour porter des navires et non que les bateaux ont été inventés pour naviguer sur les eaux.

"Si la terre était plus ou moins dure qu’elle n’est, elle ne pourrait pas être cultivée ou bien elle ne pourrait pas supporter l’homme." Toujours le fameux principe : C’est Dieu qui a créé tout cela pour l’homme, pour le bien de cet homme, le favori de Dieu. Les serpents venimeux, les bêtes sauvages, les scorpions, les punaises, les poux, les bactéries pathogènes, la fièvre thyphoïde, la lèpre, la tuberculose, les mouches cancéreuses, etc., ont donc été créés pour le bien de ce bien-aimé de la divinité ?...

Tout le livre de Fénelon, qu’on employait de mon temps dans les classes de philosophie, est plein d’arguments de la force de celui de la densité des eaux, la beauté de la nature, l’instinct des animaux. Fénelon écrit des choses aussi étonnantes que celle-ci : "Toutes les qualités des personnes et des choses viennent de Dieu, l’intelligence est une qualité, donc Dieu nous donne l’intelligence, donc Dieu existe. De même pour nos idées claires ou de sens commun. De même pour nos pensées supérieures. Un moment de réflexion suffirait à un enfant pour découvrir la faiblesse d’une telle argumentation. C’est toujours la pétition de principe. L’évêque de Cambrai commence par admettre le dessein d’un être supérieur, au lieu de nous prouver que cette intelligence suprême existe.

Un autre argument tout aussi ridicule, c’est celui de la beauté du corps humain : « Si la tête était moins grosse elle n’aurait aucune proportion avec le reste de la machine. Si elle était plus grosse, outre qu’elle serait disproportionnée et difforme, elle accablerait le cou et courrait le risque de faire tomber l’homme du côté où elle pencherait un peu trop. » L’auteur ne connaissait pas tous les animaux monstrueux : le plésiosaure, le ptérodactyle, etc., à qui on a donné le nom absurde d’antédiluviens et qui ont probablement existé pendant des milliers d’années, tant que les situations climatiques leur ont permis de se nourrir quoique leurs corps, selon nos idées modernes, soient disproportionnés et mal conditionnés. Après avoir lu Fénelon, aucun lecteur intelligent ne manquera de reconnaître qu’il n’y a trouvé nulle preuve valable de l’existence de Dieu.

Les preuves dites métaphysiques ne valent pas mieux. L’apologiste catholique J.-J.- Auguste Nicolas, dans ses Etudes philosophiques sur le Christianisme (4 volumes in-8°, 1842-45) souvent réimprimés, croit avoir découvert une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Pour lui la meilleure démonstration de cette existence c’est que l’homme a conçu l’idée même de la divinité. Toute autre idée se rapporte à la matière, qualités et défauts, beauté, laideur sont toujours le résultat d’une comparaison tacite, or Dieu ne peut-être comparé à rien. Cet argument est fallacieux car pour l’immense majorité des êtres qui ont cru ou qui croient encore à Dieu, cette déité est bien un être ou, comme le dit la Bible, un Dieu vivant, - il n’y a que les êtres matériels qui soient doués de la vie. Ce n’est qu’assez tard que l’esprit humain s’est élevé, si l’on peut parler ainsi, à l’idée d’un esprit qui, même alors était doué de toutes les fonctions de l’être humain. Ecoutez deux chrétiens discuter, ils vous parleront de l’oeil de Dieu, du doigt de Dieu, de la main de Dieu, de l’esprit de Dieu, de la volonté de Dieu, de la colère de Dieu, etc,.

Les apologistes chrétiens donnent comme preuve de l’existence de Dieu l’idée d’infini qu’a l’homme. Or, l’homme, en général, ne raisonne pas sur l’infini, seuls les mathématiciens se rendent compte, et encore assez imparfaitement de l’infini. Pour le théiste, Dieu est fini puisqu’il est limité par l’univers, ou pour le croyant par la terre et le ciel, c’est-à-dire par les nuages et l’atmosphère. Comme il est impossible que deux corps puissent occuper le même espace, Dieu ne peut exister s’il est infini, puisque la matière est limitée et que l’esprit infini devrait être limité par l’espace occupé par la matière.

Un argument très souvent employé, c’est l’affirmation de la reconnaissance universelle par les êtres humains de l’existence de Dieu. Or, les voyageurs modernes ont découvert de nombreuses tribus qui n’ont aucune idée d’un être supérieur gouvernant la terre et les cieux. Le grand ouvrage du savant Frazer (Le Rameau d’Or), donne bien des exemples de cette absence complète de connaissance d’un dieu. Les Bouddhistes véritables, qui sont athées, se comptent par millions ; les disciples de Confucius ne connaissent pas non plus de dieu. Parmi les savants modernes, il est rare de trouver un théiste. Tous les vrais savants comme Berthelot, Lalande, Laplace, Tyndall, Huxley, Haeckel, Ostwald, etc., sont, ou nettement athées, ou positivistes ou agnostiques, les deux derniers déclarent que puisque l’esprit humain ne saurait arriver à découvrir les causes premières, il s’abstiennent de s’en occuper. Or, comme ils n’admettent pas un Dieu selon l’idée ordinaire, et la définition générale, ils sont en réalité athées pour les théistes.

Descartes, dans son Discours sur la Méthode, après avoir fait table rase de toutes les théories philosophiques enseignées avant lui, recule devant les conséquences de sa négation, finit par admettre l’existence d’un Dieu, sans pouvoir toutefois le définir, il se base sur l’existence des causes et effets, démonstration qui revient à celle de Fénelon, il dit : « Nous sommes assurés que Dieu existe parce que nous prêtons attention aux raisons qui nous prouvent son existence. Mais après cela il suffit que nous nous ressouvenions d’avoir conçu une chose pour être assurés qu’elle est vraie, ce qui ne suffirait pas si nous ne savions pas que Dieu existe et qu’il ne peut être trompeur. » De nouveau pure assertion, mais aucune preuve.

J.-J. Rousseau, déiste comme Voltaire, donne deux preuves de l’existence de Dieu :

1° L’idée du premier moteur ou l’origine du mouvement, et 2° l’autre, celle des causes finales. Nous savons à présent que toute dans l’univers est en mouvement, que toutes les molécules des corps sont retenues ensemble par le mouvement de ces molécules et que pas n’est besoin d’un être supérieur pour entretenir ce mouvement et le diriger ; c’est une loi immuable de la nature. Les découvertes (Becquerel, Curie, Le Bon, Rutherford, Carnot, Meyer, Herz, Helmholz, Roentgen, Gresnel, etc.), l’ont surabondamment démontré. La preuve dite des causes finales revient à dire que Dieu créa l’univers pour servir à l’homme, c’est ce que prêchent les théologiens. Quelques philosophes ont osé déclarer qu’ils ignoraient complètement le but de Dieu. Les athées répondent : l’univers n’a aucune destination et ne peut en avoir.

Preuves qu’on trouve dans les traités de théodicée employés dans les lycées
- 1° La loi morale qui dicte ses arrêts dans le sanctuaire de la conscience suppose un législateur. Nous ne sommes pas les auteurs de cette loi, le plus souvent en désaccord avec nos penchants. Ce législateur c’est Dieu ; donc Dieu, etc.
- 2° La sanction de la loi morale, insuffisante ici-bas, suppose une sanction ultérieure, qui, elle-même ne saurait avoir lieu sans un juge suprême, rémunérateur et vengeur. Ce juge, c’est Dieu donc.
- 3° Nous avons l’idée de perfection ; or, cette idée implique l’existence, car une perfection à laquelle il manquerait l’existence serait une perfection imparfaite, ce qui est absurde, cette perfection, c’est Dieu donc, etc.
- 4° Tout ce qui est rigoureusement renfermé dans l’idée d’une chose doit en être affirmé ; or, l’existence actuelle est renfermée dans l’idée d’être nécessaire, donc il existe un être nécessaire : Dieu.
- 5° Tout attribut suppose une substance qui ne peut être moindre que l’attribut lui-même ; or, l’éternité et l’immensité sont des attributs infinis ; donc ils supposent une substance infinie (Newton, Clarke).

Le Dr Carret (Démonstrations de l’Inexistence de Dieu), analyse les preuves données par Saint Anselme, Saint Thomas d’Aquin, Gastrelle, La Luzerne, Newton, Clarke, Hancock, Woodward, etc., mais il fait comprendre tout le vide des prétendues preuves.

Retournons aux arguments contre l’existence de Dieu ; on ne peut les appeler preuves puisque l’on ne peut prouver une négation, comme nous l’avons déjà dit, mais on peut prouver que l’idée d’un Dieu tout puissant et bon est absurde. Le raisonnement d’Epicure, célèbre philosophe grec, est resté invincible. Le voici tel que nous le connaissons d’après la réfutation de Lactance, père de l’Église :

Le mal existe ; or de deux choses l’une :
- 1° Dieu sait que le mal existe, veut l’empêcher et ne le peut pas... un tel Dieu serait impuissant, donc inadmissible.
- 2° Dieu ne sait pas que le mal existe... un tel Dieu serait donc aveugle et ignorant, donc inadmissible.

On ne voit pas d’autre hypothèse possible. Donc Dieu n’existe pas.

Les croyants se sont acharnés contre le dilemme d’Epicure. Ils veulent faire croire que le mal existe parce que le premier homme a désobéi en Eden et que ce mal sert à améliorer l’homme lui-même. Ce châtiment infligé à la descendance tout entière des coupables serait assez épouvantable pour faire douter de l’existence d’un Dieu si atroce. Mais tout souffre dans la nature ; tous les animaux, depuis les plus grands aux microscopiques souffrent de leur naissance à leur mort, les plantes elles-mêmes souffrent et périclitent, la nature brute elle-même n’échappe pas aux transformations et à ce que nous appelons la mort.

Les molécules, les métaux mêmes se transforment peu à peu, il y a donc souffrance partout. Un Dieu immuable et bon ne saurait exister. Il est vrai que des philosophes, comme le baron de Colins et ses disciples croient, à la suite de Descartes, que les animaux sont insensibles, que ce sont des machines. Cette théorie ne supporte pas l’observation exacte des animaux, et puis la machine elle-même ne se détraque-t-elle pas, de plus ne peut-on pas considérer le travail comme une peine ? Il est vrai qu’elle n’a pas de nerfs et de cerveau qui font que les êtres animés se rendent compte de la douleur, mais la matière se transformant, se gâtant est une preuve que le mal existe partout et pourtant les animaux n’ont pas mangé la pomme avec Eve.

Les scientistes chrétiens, qui ont tant d’adeptes en Amérique et aussi en Europe, prétendent que la souffrance n’est pas réelle, qu’elle est une conséquence de notre imagination. Ceux qui osent dire cela n’ont jamais visité les hôpitaux ni les asiles d’aliénés ; ils n’ont pas entendu les cris de douleur que poussent les malades, les blessés. Ces scientistes chrétiens n’ont jamais guéri de vraies douleurs, pas plus que les prières ou les visites aux lieux de pèlerinage ne le font. Quand l’auto-suggestion est terminée, les maux recommencent.

Le mal existe donc et un Dieu qui l’aurait créé, le sachant et le voulant est incompréhensible, impossible.

Si Dieu ne sait pas que le mal existe, la chose est encore plus absurde, cela ressemblerait au Dieu de la Bible qui ne sait pas ce qui se passe dans le paradis terrestre et est obligé de s’y promener pour voir ce qu’y faisaient les nouveaux époux. Ce serait comme Jupiter qui descend sur la terre pour juger des abominations qui s’y commettent et punit du déluge de Deucalion et Pyrrha les humains pour le crime du roi Lycaon.

Un Dieu comme celui de la Bible ou des Métamorphoses ne peut être admis que par des esprits bornés.

S’il y a un Dieu pourquoi y a-t-il tant de religions ? Les prêtres prétendent tous que leur Dieu est le seul vrai Dieu. Or, il y a une infinité de religions et de sectes qui ne croient pas au Dieu des autres religions. S’il y avait un Dieu, n’aurait-il pas fait en sorte que tous les humains le reconnaissent ? Le Dr Carret résume ainsi cette objection :

De trois choses l’une.
- 1° II y a un Dieu, ce Dieu a voulu se manifester aux humains et le nombre des religions prouve qu’il n’a pas réussi. Dans ce cas, Dieu est impuissant, donc inadmissible : tous les cultes sont absurdes et tous leurs dieux sont faux.
- 2° II y a un Dieu : ce Dieu n’a pas voulu être connu de nous et ne se soucie aucunement de nos adoration. En ce cas, tous les cultes sont absurdes et tous leurs dieux sont faux, car aucun ne ressemble au Dieu réel.
- 3 ° II n’y a pas de Dieu. En ce cas, tous les cultes sont absurdes.

Aucune autre supposition n’est possible.

Les athées se servent encore d’autres arguments pour combattre la croyance : l’impossibilité du libre arbitre ; l’inexistence d’une âme mortelle ; la différence entre la volonté et le libre arbitre, etc. Tout cela devra faire le sujet d’autres articles dans l’Encyclopédie.

Les Spirites qui se démènent tant à présent et dont beaucoup ne croient pas en Dieu, croient à la survivance de l’âme après la mort. L’Institut métapsychique de Paris et The Society for psychical research de Londres, cherchent à prouver cette survivance, mais toutes leurs expériences ne prouvent rien jusqu’ici et toutes les manifestations dont parlent les métapsychiques n’ont encore rien produit de convaincant. Nous pouvons admettre que l’âme n’est qu’une fonction du cerveau et qu’aussitôt que la mort survient, il n’y a plus d’âme et que les molécules du cerveau se désagrégeant, il ne peut y avoir d’immortalité.

Donc pas plus d’âme que de Dieu et le raisonnement d’Epicure reste inébranlable.

On a donné le nom d’épicuriens aux amis de la bonne chère. Sans être des ascètes, on peut aimer le bien, se dévouer à l’humanité, c’est ce que voulait Epicure. Il mettait le bonheur dans la satisfaction des besoins intellectuels et moraux.

Son disciple Lucrèce, dans son grand poème De Naturâ Rerum le fait bien comprendre.

Dans tous les temps, l’histoire a dû reconnaître la parfaite honnêteté des athées. L’antiquité a cité comme des modèles de vertu des athées comme Diagoras, de Milo, qui se rattachait à l’école de Leucippe ; Théodore et Evhémère, sortis de l’école de Syrène ; Straton de Lampsaque, Métrodoros, Plysemos, Hermachos, Polystratos, Basilides, Protarchos.

On peut aussi inclure parmi les athées toutes les écoles philosophiques grecques depuis Thaïes (Anaximène, Anaxagore, Achellaos), jusqu’à Socrate qui fut condamné à mort sur une accusation d’athéisme. Parmi les athées, il faut comprendre Hérédité, Empédocle, Démocrite, Pyrrhon et toute l’école sceptique (Timon, A. Aenesidème, etc.) ; l’école stoïque (Zenon, Aristo de Chios, Cleantes, etc.).

L’athéisme a toujours été admis par les esprits éclairés de l’antiquité, mais l’établissement d’une religion officielle dans la plupart des États a empêché parfois l’enseignement de cette doctrine. Les gouvernements se sont toujours servi de leur autorité, et des persécutions pour écraser la terrible négation qui, du coup ébranlait toute religion et tout respect pour l’État.

Les athées étaient obligés, sous peine de mort ou de ruine, de mettre un frein à leur franchise. Montaigne, la Boétie, Charron, Giordano Bruno, Vanini étaient athées, mais ils n’osaient pas le proclamer et les deux derniers ont payé de leur vie les doutes qu’ils faisaient entrevoir sur l’existence de Dieu.

Au XVIIIe siècle, Helvétius, d’Holbach, d’Alembert, Diderot étaient des athées, Voltaire et Rousseau qu’on a souvent accusés d’athéisme étaient déistes, de même que Robespierre. Par contre, Marat, Babeuf, Buonarotti étaient athées, aussi ont-ils été salis par tous les écrivains réactionnaires.

Les socialistes du commencement du XIXe siècle n’avaient pas encore secoué l’esprit théiste quoique pour eux le mot Dieu n’eût pas grande signification.

En Allemagne, Kant, Schopenhauer, Nietzsche, et leurs disciples, ne reconnaissaient aucun Dieu.

Karl Marx, Engels, Lassale, Kautski, étaient athées, ainsi que les Hégéliens et les socialistes démocrates, mais pour ne pas choquer les masses, ils s’abstenaient d’attaquer l’idée théiste.

Il y a de très nombreux prêtres catholiques et pasteurs protestants qui ne croient pas en Dieu, mais par lâcheté, par peur de perdre leur gagne-pain ou leur position sociale, ils se gardent de faire voir ce qu’ils pensent. Je l’ai remarqué bien des fois et quelques-uns de ces fourbes me l’ont avoué, ils continuent à prêcher ce qu’ils considèrent comme des mensonges. On ne peut que plaindre ces hommes malhonnêtes envers eux-mêmes.

Quelle différence avec Lalande, le grand savant, continuateur du dictionnaire des athées de Sylvain Maréchal. Quoique mal vu de Napoléon à cause de ses opinions, il a écrit :

« Je me félicite plus de mes progrès en athéisme que de ceux que je puis avoir faits en astronomie. Le spectacle du ciel paraît à tout le monde une preuve de l’existence de Dieu. Je le croyais à 19 ans, aujourd’hui, je n’y vois que de la matière et du mouvement. »

G. Brocher

La place de l'église dans le monde moderne

Emission de France 3 diffusé le28/05/2007

Extrait :

Thèse mythiste (Jésus non historique)

Thèse mythiste (Jésus non historique)


La thèse mythiste est une hypothèse historique et théologique selon laquelle Jésus de Nazareth est un personnage mythique, sorte de porte-étendard recouvrant la philosophie de ceux qui ont propagé le mythe.

Elle énonce que Jésus de Nazareth n’aurait pas existé : aucun document probant n'attesterait l’existence de Jésus et de nombreux indices portent à croire qu’il serait un personnage mythique, plus ou moins comparable à Mithra, Dyonisos, Sol Invictus ou Esculape. Sa personnalité serait le fruit d'une élaboration théologique plus ou moins tardive, en tout cas progressive tout au long des premier et deuxième siècles de l'ère commune.

Dans ce contexte, Jésus est un personnage conceptuel instrumentalisé par les premiers chrétiens.


Le courant mythiste affirme que la recherche historique sur le personnage religieux de Jésus est un sujet particulièrement sensible, et les mythistes contemporains aiment à la croire tabou.

Pourtant, la question est évoquée dans la Geschichte der Leben Jesu-Forschung, Tübingen, édition de 1913 de Albert Schweitzer, à la page 445 (première édition en allemand en 1902, traduction anglaise de 1907, jamais traduit en français). Cet ouvrage synthétise les travaux de la deuxième quête et tient compte des thèses mythistes telles que développées à l'époque. Parmi les ouvrages cités, dans la lignée intellectuelle de Strauss et de son école mythologique, Bruno Bauer peut être considéré dès 1840 comme le premier mythiste.


Courant libertin du XVIIIe siècle

Depuis le XVIIIe siècle, certains auteurs libertins et/ou anticléricaux, doutent de son existence historique. Dans la foulée des premières interrogations sur les paradoxes, voire les incohérences, des textes bibliques, publiées à partir des Lumières en France et de l’Aufklärung en Allemagne, ils publient leurs réflexions sans qu'on puisse parler, cependant, d'études historico-critiques pour qualifier les travaux de Richard Simon, de Jean Astruc ou encore des Libertins.


Voltaire


Voltaire met en avant le peu de valeur documentaire des Évangiles écrits par des gens que rien ne recommande, pleins de contradictions et d'imposture — l'improbabilité des prophéties eschatologiques, contre lesquelles se rebelle le bon sens.

Laissez chacun s'interroger en lui-même, écrit-il, s'il voit la possibilité de pousser plus loin l'imposture et la stupidité du fanatisme.. Toute l’histoire de Jésus — seul un fanatique ou un valet stupide le dénierait — doit être examinée à la lumière de la raison.

À de nombreuses occasions, Voltaire attire l'attention sur le silence des auteurs non-chrétiens en ce qui concerne l’histoire contée dans les évangiles. Manifestement, la tradition chrétienne ne lui inspire aucune confiance. Toutefois, il ne s'aventure pas à soutenir qu'elle est ou non conforme à la réalité. Il est conscient que certains partisans de Bolingbroke, plus habiles qu'érudits, se croient autorisés par les ambiguïtés et les contradictions de la tradition évangélique à dénier toute existence historique à Jésus.

Les citations de Voltaire, en italique, sont extraites de l'un ou l'autre des ouvrages suivants :

* Voltaire, Dieu et les Hommes,
* Voltaire, Examen important de Milord Bolingbroke (Edition Kehl)
* Voltaire, Histoire de l'Établissement du Christianisme
* Voltaire, l'Essai sur les Mœurs
* Voltaire, Les Homélies prononcées à Londres, 1765,
* Voltaire, sermon des Cinquante
* Voltaire, Conseils raisonnables à M. Bergier,
* et ses nombreux articles dans le Dictionnaire Philosophique,
* François Dupuis, l'Origine de tous les cultes ou la religion Universelle, Paris, 1794
* François Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes, Paris, 1798




Travaux classiques

Cette partie est largement inspirée du travail de 1926 de Maurice Goguel, tombé dans le domaine public, Jésus le Nazaréen: Mythe ou Histoire ? dont une version anglaise se trouve en ligne.

L'adjectif classique attribué à ces travaux tient au fait qu'ils se développent dans le sillon des travaux historico-critiques inaugurés depuis le milieu du XIXe siècle. Quelques-uns d'entre eux se situent dans la lignée du courant Dutch Radikal Kritik.

Les thèses mythistes sont diverses :

* soit on conteste l'existence historique du personnage Jésus,
* soit on conteste le caractère historique de telle ou telle partie du récit tel que présenté par les quatre évangiles, par exemple :
o les récits d'enfance, qui n'existent que dans Luc et Matthieu, dont la rédaction s'avérera tardive en regard des textes qu'ils introduisent,
o les récits de la passion comme le fait Salomon Reinach ; actuellement, l'une des théories du Document Q fait observer que la reconstitution des diverses phases de ce document ne comprend aucun récit de l'évènement.




Courant académique

Ce courant a été dominé par les travaux de

* Salomon Reinach 1858-1932

* Paul-Louis Couchoud,

* Prosper Alfaric, dont on aurait pu craindre qu'il appartint au courant polémique du fait de sa qualité de défroqué. Une opportune réédition sous la direction de Michel Onfray permet de juger de la qualité du travail de Alfaric tout en faisant retomber dans la catégorie protégé par le droit d'auteur des textes qui étaient devenus libres de droits.


John M. Robertson

Ses livres

*
o John M. Robertson, Christianity and Mythology, Londres, 1900, 1910;
o John M. Robertson, Short History of Christianity, Londres, 1902;
o John M. Robertson, Pagan Christs, Studies in Comparative Theology, Londres, 1902-11;
o John M. Robertson, The Jesus Problem—Restatement of the Myth Theory, Londres, 1917

Son concept : (dans Pagan Christs)

Appolonius de Tyane est le seul personnage messianique dont le caractère authentiquement historique est admis par l'auteur. Le problème le plus grave tient à la méthode comparatiste et au défaut de ses qualités. Par exemple, l'auteur présuppose que de nombreux enseignements du Moyen-Orient et leurs prophètes (et ou messies) viennent originellement d'Inde. Ceci n'a été confirmé que pour les Gymnosophistes d'Égypte qui pourraient bien être des yogis.

L'idée que l'auteur se fait du Bouddha, selon lui certainement un messie, est intéressante mais externe à la conception même du bouddhisme. Bouddha ne se proclame jamais un messie ; il déclare juste avoir atteint l'illumination. L'auteur tente aussi au long de nombreuses pages de trouver des racines asiatiques aux religions du Nouveau Monde ; mais sa méthode comparatiste, un peu embryonnaire à l'époque, peut partir de n'importe quel indice, par exemple un zodiaque répartissant en 4 zones un ensemble de 12 symboles est qualifié de "remarquable", est parfois franchement déjantée.




Salomon Reinach (1858-1932)

L'une des plus excitantes théories mythistes :

* ses livres et articles :
o Orpheus, 1909;
o Le Verset 17 du Psaume 22 ;
o À propos de la curiosité de Tibère ;
o Bossuet et l'argument des prophéties ;
o Simon de Cyrène;
o Une source biblique du Docétisme

* son concept

Il ne soutient pas directement la thèse de la non-historicité mais le peu de valeur documentaire des évangiles ; d'une certaine façon, il tient pour bonne la compréhension docète du personnage en se basant sur les épîtres de Paul dont il ne parvient pas à accepter qu'une partie d'entre elles soit inauthentique. Il insiste sur 3 éléments qui lui semblent capitaux :

*
o le silence des historiens autres que les rédacteurs chrétiens des évangiles,
o l'absence de rapport de Ponce Pilate à l'attention de Tibère dans une civilisation aussi administrative que l'empire romain
o le fait qui le mène à contester la passion que ce récit reprend et développe la prophétie du verset 17 du psaume 22. Ce serait donc un midrash pêché à l'origine de la pensée docète.



Paul-Louis Couchoud

* son livre : Le Mystère de Jésus ; en fait, Couchoud commence par donner des conférences et des discussions informelles à l'Union pour la Vérité entre janvier et avril 1924 puis certaines d'entre elles paraissent sous forme d'articles au Mercure de France
* son concept : au fil des discussions, entre autres avec Maurice Goguel, son meilleur opposant, Paul-Louis Couchoud fait évoluer ses thèses et les affine.

Axiomatique

* le seul témoignage qui vaille est celui de Paul de Tarse
* la conception docète du christianisme serait l'orthodoxie si Paul est le véritable fondateur du christianisme

Première version

Selon Couchoud, la méthode selon laquelle les historiens, à son époque de Renan à Loisy tentent de comprendre le personnage de Jésus et la genèse du christianisme est soumise à 2 principaux écueils :

* le premier est qu'il est inconcevable qu'en une génération ou moins un homme soit déifié
* le second tient au fait que, du point de vue historique, Jésus échappe à l'historien faute de documentation suffisante. Il est établi que le Testimonium Flavianum est interpolé. Tout ce qui, dans le Talmud, concerne Jésus dépend du christianisme. Des 3 témoignages païens, l'un, celui de Suétone ne connaît qu'un agitateur juif du nom de Chrestos et les 2 autres, Pline le Jeune et Tacite attestent de l'existence d'un mouvement chrétien et, pour ce qui est de l'origine de ce mouvement, ils répètent ce qu'en disent les chrétiens.

Pour Paul Louis Couchoud, le Christ dont parle Paul n'est pas un être historique mais un personnage purement idéal (au sens platonicien du terme). Couchoud a une compréhension des valeurs du christianisme et de l'influence de la croyance en Jésus qui le distinguent des autres théoriciens. Goguel décrit la situation en disant que Couchoud n'assume pas une thèse mythiste mais une thèse spiritualiste.

Dernière version

Dans la dernière version, qui n'est qu'une maturation de la précédente sans rupture réelle, Couchoud considère que le Christ tel que le montre la littérature paulinienne n'est pas une incarnation de YHWH, le Dieu de toujours du peuple juif, mais un nouveau dieu qui s'intègre dans le panthéon des cultes orientaux. La thèse mythiste devient la suivante : Jésus n'est pas un homme divinisé mais le dieu d'un culte à mystères humanisé par le récit qui en est fait. C'est là qu'il rejoint la conception docète du christianisme qui est l'un des gnosticismes.

Réception

La thèse de Paul Louis-Couchoud fut exposée successivement dans un article publié en 1924 dans le Mercure de France et suivi de conférences à l'Union pour la Vérité de janvier à avril 1924. L'Union pour la Vérité [2] était une institution culturelle à la recherche d'une sociabilité intellectuelle dans la bourgeoisie catholique et moderniste. Il se trouve deux interlocuteurs de choix dans Maurice Goguel et le père de Grandmaison.

Elle est rassemblée dans le Mystère de Jésus, augmentée de 3 chapitres dans lesquels il tente de démontrer que l'étude de l'Apocalypse et des épîtres non-pauliniennes confirment ses vues tirées des épîtres pauliniennes. L'ensemble est publié au Mercure de France(mars 1924).

Maurice Goguel publie un tour d'horizon des thèses mythistes Jésus de Nazareth : Mythe ou Histoire ? (Payot, 1926)


Postérité


Si une bonne partie des critiques faites par Goguel à Couchoud sont justifiées. Par exemple, qu'elle est fondée sur entre autres une philosophie des religions, et non sur les textes et données disponibles, ce qui limite les possibilités de réponse. Toutefois, une partie de la réflexion de Couchoud a trouvé une postérité ; c'est ce qui fait sa qualité.

D'une part, plus personne ne tente de recréer une vie de Jésus comme le fit Strauss. Au contraire, on confronte les éléments du récit des évangiles à l'histoire de la Syrie-Palestine au Ier siècle et celle du Judaïsme du 2nd temple au premier siècle, pour évaluer la possibilité de tel ou tel évènement, voir le réalisme[3] de tel ou tel évènement. Cela se nomme la contextualisation ou encore le Sitz im Leben selon les écoles. On aboutit donc à des portraits en creux.

Ces points précis ont trouvé une postérité :

* l'idée du dieu analogue à ceux des cultes à mystère La postérité n'est pas directe mais l'idée demeure à 2 endroits.
o le récit de l'institution de la Cène/Eucharistie n'est pas un récit de seder Pessah mais ressemble en bien des endroits à des récits de partage de nourriture dans certains cultes à mystère
o Il est un mythe que Margaret Barker — la spécialiste du symbolisme du Premier Temple — rappelle dans ses travaux : celui d'Ashera, la Reine du Ciel (symbolisée, entre autres, par un arbre dont la menorah serait la survivance), une ancienne déité, mère de nombreux "fils d'El", vénérée ouvertement par Israël jusqu'à la réforme du VIIe siècle avant l'ère courante (réforme de Josias). La thèse générale de Barker est que avec le "christianisme" apparaît une reconfiguration de thèmes appartenant à la théologie du Premier Temple, et ayant survécu en marge de la théologie officielle d'État. Selon la théologie du Premier Temple, YHWH est le plus important des fils qu'Asherah donna à El. Certains "chrétiens" en vinrent très tôt à identifier Jésus à YHWH, le fils d'El, et à comprendre le rapport de Jésus à Marie, comme celui de Yahweh à Asherah. Le binitarisme juif précéda le christianisme trinitaire
o le trinitarisme, s'il n'est pas juif dans la version élaborée qui nous est parvenue, a néanmoins des racines juives. Tout dépend de ce que l'on entend par "juif". Si on réduit l'expression à l'expérience juive officielle, i.e. au judaïsme dominant de la période du Second Temple, ou au judaïsme de la torah orale (postérieur au christianisme), il est clair que le monothéisme monolithique est la règle. Si on regarde dans les marges, comme le fait Daniel Boyarin,[4] il devient tout aussi clair que le monothéisme monolithique n'était pas la seule interprétation possible du monothéisme juif. Aujourd'hui, les historiens commencent à parler de binitarisme. Ce qui les oblige aussi à parler de monothéismes au pluriel.





Travaux récents

Aujourd'hui, la plus pertinente est celle d'Earl Doherty.
Voici un court texte d'Earl Doherty (en) concernant ses opinions sur la non-existence de Jésus.

Les éléments qui constituent la pertinence de la thèse mythiste selon Earl Doherty tiennent

* à la méthodologie : la thèse qu'il développe prend en compte les recherches antérieures contrairement aux thèses autodidactes, parfois farfelues. Il discute à partir des problématiques issues du problème synoptique, du corpus johannique et du corpus paulinien.
* au débat qu'il organise autour de sa théorie. Depuis 1999, le groupe de discussion Jesus Mysteries a été créé à l'instigation de Doherty et de quelques universitaires pour envisager toutes les faiblesses de la thèse de Doherty et, si possible, la mettre à bas. Au départ, le groupe était ouvert à un certain nombre de professeurs dans les Divinity Schools (athées ou croyants), à leurs étudiants et à un groupe d'athées américains réunis sous la bannière de Infidel.org. Avec la notoriété, le groupe de discussion a accueilli des inscriptions plus diverses, ne disposant pas forcément du même pré-requis universitaire, qui conduisent à de fréquents résumés des chapitres précédents.

Toutefois, certaines erreurs de lecture du grec, par exemple sur Kata sarka, affaiblissent l'intérêt de son travail. Contrairement à ce qu'affirme Doherty, le sens du mot sarx, que l'on trouve dans les épîtres diversement décliné (kata sarka, en sarki, etc.), fait référence à une vie terrestre, y compris lorsqu'il est appliqué à Jésus. Si les mythistes souhaitent prouver le contraire, ils devront appuyer leur démonstration sur des documents de l'antiquité dans lesquels le mot sarx serait clairement utilisé pour qualifier un personnage céleste. La seule occurrence se trouve dans la lettre de Jude, laquelle est postérieure aux lettres de Paul. Ce n'est pas en lisant cette lettre de Jude que Paul a pris l'habitude de dire "kata sarka" pour désigner les anges.




Thèses non académiques

Ce sujet attire de nombreux autodidactes dont certains sont des chercheurs indépendants sans a priori religieux, alors que d'autres sont issus du courant anticlérical, et quelques uns sont issus des courants athées militants . Par académique, on comprendra que ces thèses sont peu reprises dans les bibliographies des livres qui font autorité dans le domaine. Elles ne sont pas approfondies par la communauté savante.

Certaines de ces thèses (mais pas toutes) ont pour caractéristiques de prendre pour hypothèse l’inexistence historique de Jésus, c'est-à-dire de prendre la conclusion pour hypothèse (voir pétition de principe) au lieu de prendre les textes et leurs contextes (historique, linguistique, etc.) de production pour point de départ. De ce fait, certaines de leurs affirmations vont contre l’état de l'art au moment de la parution des ouvrages. Quelques thèses font fi des recherches universitaires comme des travaux sur les textes. Leur succès est dû au manque d'enseignement laïc sur le fait religieux. Le peu de célébrité de l'ouvrage du sociologue Maurice Halbwachs, "Topographie légendaire des Evangiles" (1941), confirme cette assertion.

On retrouve la même erreur de méthode dans certains ouvrages chrétiens qui partent du principe que Jésus a existé, que les évangiles rapportent des faits réels...bref, ils partent d'une conclusion et trouvent des arguments pour prouver leur postulat, ce qui est anti-scientifique.

Les militants de l'athéisme radical contemporains utilisent fréquemment le jeu des hypothèses présidant aux travaux de la deuxième quête du Jésus historique pour des objectifs prosélytes sans nécessairement connaître ni les méthodes des travaux qui ont conduit à ses résultats et, le plus souvent sans retenir les conclusions de ceux-ci. Par exemple :

* Les « preuves » dites de l’inexistence de Jésus (terme excessif, étant donné la difficulté pratique de prouver une inexistence) sont fondées sur des contradictions entre les divers évangiles. Ce type de sites, très répandu dans le courant athée francophone ignore radicalement que ces contradictions sont étudiées par le problème synoptique, un classique de la recherche académique.

On note, en effet, des couches rédactionnelles dans le genre littéraire arétalogie dont on tire la conclusion que nombre de récits sur la vie de Jésus ne doivent pas être nécessairement compris comme historiques au sens où nous comprenons l'histoire de nos jours. Ils peuvent représenter un simple réalisme poétique ; élucider ce symbolisme éventuel peut donner accès à une vérité anthropologique.

* Un autre cheval de bataille est ce passage de Flavius Josèphe parlant de Christ qualifié d'interpolation alors que les débats académiques sont bien plus divers et bien plus nuancés.





En francophonie


Hypothèse midrashique

Pour Bernard Dubourg, le Nouveau Testament aurait été mis au point à partir des discussions rituelles et théologiques issues de la traduction dite de la Septante. Ces textes ne relèveraient ni de l'historiographie ni du mythe ; ils ne seraient pas non plus transfiguration mythologique d'évènements historiques.
Article détaillé : Hypothèse midrashique.

Tendance polémique

Par romanesque, il faut entendre tendance "faits divers", "scandale", associations fantaisistes à des mythes déjà connus et construits autour des Templiers, de Rennes-le-Château, etc.

Les idées d'Arthur Heulhard et Daniel Massé ont toujours fait sourire les spécialistes du genre. À leur propos, Maurice Goguel déclare : En France, si l'on excepte quelques polémistes dont les travaux tiennent plus du roman que de l'enquête (page 25). Leur éditeur sut les populariser auprès d'un large public avide de mystères et de scandales. Il est aussi l'auteur de la légende selon laquelle l'Église (comprendre l'Église catholique apostolique et romaine) aurait tenté de faire disparaître autant que possible les ouvrages de Daniel Massé.

Arthur Heulhard


* ses livres
o Le mensonge Chrétien, Jésus Christ n'a pas existé, Paris, 1908-10, II vol
o La Vérité Barabbas, Le mensonge Jésus ; Tu es Petrus, l'histoire et la légende, Paris, 1913-14

* son concept
o c'est Jean-Baptiste qui se proclame Christ' et Fils du Père
o c'est BarAbbas (dont la traduction du nom donne « fils du Père », de Bar = fils en araméen et Abbas, père, au génitif en grec) qui fut crucifié au Golgotha par Pilate pour ses crimes publics comme assassinat, vol et trahison. Dans leurs récits, les évangélistes substituèrent Jésus, un personnage sans existence autre que fictive, à BarAbbas, afin d'exploiter lucrativement la rédemption des péchés par le moyen du baptême. Le statut d'une victime innocente, auquel BarAbbas ne pouvait prétendre, rendait nécessaire la création d'un tel personnage fictif. C'est donc BarAbbas que l'Église romaine adore.

Daniel Massé

Suivant des membres du courant contre les religions, Massé était surtout un plagiaire du précédent pour la plus grande partie de son œuvre concernant le mythe Jésus ; il fut bien soutenu par son éditeur, Robert Ambelain, qui, selon les mêmes sources, alla jusqu'à écrire quelques-uns de ses livres afin d'obtenir un succès de scandale.

* son concept

Juriste, il se présenta en son temps comme le découvreur d'un formidable secret jusque-là jalousement gardé : Jésus n'était autre qu'un bandit rebelle dénommé Judas de Gamala.

* ses livres parus aux éditions du Sphinx, vers 1920

o L'Énigme de Jésus-Christ II, Jean-Baptiste et Jean le disciple aimé
o L'Énigme de Jésus-Christ III, L'Apocalypse et le royaume de Dieu
o L'Énigme de Jésus-Christ I. L'auteur y avance
+ que l'exégèse est une discipline ecclésiastique visant à catéchiser les foules, ce qui était vrai à l'époque de la rédaction de son livre. Exégèse dont les normes de liberté furent à nouveau rappelée par le pape Pie XII(pape de 1939-1958) dans son encyclique Divino Afflante Spiritu.(Source : Petite histoire de l'exégèse biblique de Pierre Gibert) Toutefois aujourd'hui ce travail d'élucidation des manuscrits (critique textuelle), ce travail de recherche de sources (critique radicale), ce travail de rapprochement des faits et du récit dans le cas de romans historiques sont des disciplines plus profanes(quoique composées de nombreux pasteurs et théologiens) qui fonctionnent pour Homère comme pour Marguerite Duras
+ que la rédaction des Évangiles résulte d'une volonté délibérée de l'Église (catholique) de falsifier l'histoire,
+ que le prétendant Messie (nombreux entre -20 et + 135) le plus satisfaisant est Juda fils de Juda "le Gaulonite" (de Gamala), auteur de l'Apocalypse sous le nom de Ioannes (l'oint de Dieu).

Robert Ambelain

Ésotériste et occultiste, il publie en 1970 :

Jésus ou le mortel secret des templiers, Robert Laffont ;
Les lourds secrets du Golgotha ;
La Vie secrète de saint Paul.

Quoique n'étant pas mythiste, le Da Vinci Code trouve une partie de ses condiments dans les éléments obligés de ce genre : complot, sectes et initiés, secret, empêchement de l'Église catholique, etc.


Luigi Cascioli


La Fable de Christ, livre dénonciation, irréfutable démonstration de la non-existence de Jésus de Luigi Cascioli, autoédité, appartient à cette rubrique. Italien athée il porte plainte en 2002 contre l'Église catholique pour "abus de croyance populaire" et substitution de personne. La dénonciation contre l’Église catholique en la personne d’un curé est en examen au Tribunal des Droits de l’Homme actuellement, en 2006.

Reprenant la thèse de Daniel Massé, il soutient que l'identité de Jésus Christ aurait été construite sur celle de Jean de Gamala, fils aîné et successeur de Judas le Galiléen. Il assure que les Evangiles ne sont pas fiables, comportent de nombreuses erreurs et sont des parti pris. Quant aux autres preuves écrites datant de cette époque, elles sont peu nombreuses et ne résistent pas à une analyse sérieuse. Ses détracteurs citent les habituels historiens non contemporains des faits, Flavius Josèphe, principale source non-chrétienne sur l'existence de Jésus, et les écrivains romains Pline le Jeune ou Tacite. Court-circuitant la caution universitaire, il a demandé à la Justice italienne de juger si l'Église a abusé de son pouvoir en présentant comme historique un personnage qui n'est selon Cascioli qu'une construction.

Michel Gozard

Auteur de Jésus ? Une histoire qui ne peut pas être de l’Histoire (éditions Publibook, 304 pages), il propose un éclairage original : "La nouvelle religion ne serait pas née d’un mensonge mais d’une série de confusions sur les Évangiles, leur sens, leur langue initiale et le motif de leur rédaction. Quand on lit les Évangiles tels qu’ils sont écrits et non tels qu’ils ont été interprétés, on réalise qu’ils parlent d’un Jésus prêchant une morale d’urgence aux bons juifs de sa génération pour les sauver car le Jugement de la fin des temps est annoncé pour le lendemain, et non d’un Jésus prêchant une nouvelle foi proposée à tous les humains.

Quand on constate le caractère fondamentalement hébraïque de ces textes, on en déduit qu’ils étaient primitivement rédigés en hébreu. Quand on s’aperçoit que l’identité de Jésus, ses actes, ses paroles, son destin, sont tirés en totalité de la littérature antérieure, on comprend que le personnage est un Messie-patchwork réalisé à partir d’écrits lus comme prophétiques. Il s’agit d’un Messie "prévu" qui n’a rien à voir avec une personne historique. Les Évangiles sont des visions anticipatrices, de la religion-fiction, des révélations sur ce qui va arriver bientôt… ce qui explique les divergences et contradictions entre les textes, tout comme les nombreuses anomalies et invraisemblances qu’on y trouve.

Les premières rédactions peuvent être datées du début du gouvernement de Pilate. Mais plus tard, dans leurs versions traduites en grec (verbes adaptés), leur contenu est inévitablement pris pour des récits biographiques sur des événements passés car contemporains de Pilate. Alors le “messianisme” d’une secte juive devient le “christianisme” hellénistique, le Messie Jésus devient Jésus-Christ, le mythe de la fin des temps est recyclé en mythe fondateur d’une nouvelle religion universelle qu’il faudra progressivement organiser, doter d’une institution, d’un culte, de dogmes, et qui donnera l’exemple du premier totalitarisme."


Michel Onfray

Dans sa Contre Histoire de la Philosophie, Michel Onfray défend la thèse mythiste. Il y vulgarise les positions des différents auteurs qui ont par le passé avancé cette théorie. Voir son séminaire et sa bibliographie.

Autres

Signalons :

* Marc Hallet, Les Origines mythiques du christianisme, 2003, autoédité

* Acharya S, La Conspiration du Christ auto édité (même thèse que Gandy et Freke, plus bas)